Une métamorphose entre mante religieuse et mère éplorée
Le lundi 19 mai 2025

Entretien avec Pierre-Emmanuel Rousseau, metteur en scène, décorateur et costumier de Sémiramis.
Quelles ont été vos inspirations ?
Mes inspirations sont d’abord cinématographiques. Deux films en particulier ont nourri ma réflexion pour la mise en scène de Sémiramis. Le premier est Les Prédateurs de Tony Scott, dont j’admire l’esthétique très sophistiquée. La figure de Catherine Deneuve en vampire et femme fatale a particulièrement influencé ma vision du personnage principal. Ma mise en scène tend vers un côté plastique et clinquant, avec un style très années 80. Elle renoue avec le goût du grand spectacle propre à l’époque de création de l’œuvre, dans son luxe et son abondance. Le second film est Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Sémiramis est la reine de Babylone, la cité du savoir mais aussi de la perdition. J’y vois un parallèle fort avec la société secrète du film. La cour de Sémiramis est elle-même une société secrète, où elle organise des sacrifices. Une fois entré dans ce palais, on n’en sort plus. Je tenais à retrouver cette dimension de rite, de mystère et d’enfermement dans ma mise en scène.
Comment avez-vous abordé toute l’ambiguïté du personnage de Sémiramis, à la fois femme sensuelle et figure inquiétante ? Quelle est votre propre vision de ce personnage ?
J’ai exploré l’histoire des femmes assassines comme la comtesse Elizabeth Bathory accusée de crimes sanglants au XVIIe siècle ou même Cléopâtre qui aurait fait assassiner son frère pour rester au pouvoir. Dans l’Histoire, on évoque bien plus souvent les femmes de dictateurs — des figures comme Imelda Marcos ou Elena Ceaușescu — que des femmes dictateurs elles-mêmes. Sémiramis est une meurtrière, certes, mais il ne faut pas oublier que chez Voltaire et Rossini, elle est avant tout une femme blessée, persuadée d’avoir perdu son enfant. C’est une plaie vive en elle, une absence qu’elle cherche désespérément à combler, jusqu’à en arriver — inconsciemment — à vouloir épouser son propre fils. Et quand elle découvre l’abomination de l’inceste, un basculement s’opère : elle devient soudain profondément maternelle. Il y a là un virage brutal, aussi bien dans le livret que dans la musique — une métamorphose radicale entre la mante religieuse et la mère éplorée.
Quels rapprochements pouvez-vous faire avec Tancrède, opera seria de Rossini composé dix ans avant ?
Tancrède raconte lui aussi une histoire de famille dysfonctionnelle et de vengeance mais, là où Sémiramis déploie une ampleur monumentale, Tancrède reste plus minimaliste. Sur le plan musical, Sémiramis se distingue par une audace bien plus marquée. Rossini semble y prendre davantage de liberté avec la forme : tout en affirmant son attachement au modèle classique, il se permet des récitatifs accompagnés d’une grande richesse et des passages d’une modernité frappante.
Propos recueillis par Solène Souriau • mai 2025
Le saviez-vous ?
Fondatrice de Babylone et de ses jardins suspendus, une des sept merveilles du monde, Sémiramis est à mi-chemin entre le personnage historique et la légende mythologique. Selon plusieurs sources anciennes, elle est souvent associée à Sammuramat, une reine historique de l’Empire assyrien au 9e siècle av. J.-C., qui a régné après la mort de son mari, le roi Shamshi-Adad V. Cette figure historique a été largement mythifiée au fil du temps, particulièrement par les historiens grecs comme Diodore de Sicile, qui ont attribué à Sémiramis, guerrière ambitieuse, des exploits légendaires.
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