Une dramaturgie de la gravité
Le mardi 7 octobre 2025

Entretien avec Angelin Preljocaj, chorégraphe de Gravité.
Le titre de votre pièce est Gravité, mais il pourrait presque s’écrire au pluriel tant vous mettez en jeu une pluralité de gravités. Comment en faites-vous le sujet de votre pièce ?
La gravitation est l’une des quatre forces fondamentales qui régissent l’univers. Elle désigne l’attraction de deux masses. Je me confronte toujours aux mêmes questions quand je crée : l’énergie, le temps, l’espace, la vitesse. Le travail quotidien avec les danseurs m’amène à expérimenter des formes dont les composantes fondamentales tournent autour de ces notions. Et il y a ce défi : rendre visible quelque chose qui ne l’est pas. Cela m’a conduit à travailler sur le corps et ses limites, que la danse aime tant repousser. C’est cette recherche qui me passionne et m’inspire dans mon écriture chorégraphique.
« Le corps offre tellement de possibilités à explorer ! »
Concrètement, comment utilisez-vous la notion de pesanteur et d’apesanteur ?
Tout être humain, depuis son plus jeune âge, subit cette force extraordinaire qu’est la gravité — et toutes les danses du monde jouent avec elle. La danse classique, par exemple, cherche à s’en émanciper au point que l’on a inventé les fameuses pointes pour s’élever encore davantage. Gravité est une articulation, une recherche qui fait le grand écart entre ces deux tendances : la verticalité et l’apesanteur du classique, et l’ancrage de la danse contemporaine.
Comment avez-vous pensé le lien entre la gravité et la musique ? Chaque forme de pesanteur appelle-t-elle, selon vous, une texture sonore particulière ?
Dès le départ, j’ai pensé qu’il fallait choisir des partitions qui illustrent ou évoquent différentes forces de gravité. Les danses folkloriques frappent le sol, les danses balinaises sont plus aériennes… Toutes les danses du monde entretiennent un rapport singulier à la gravité. Partant de là, je me suis dit qu’il y avait une dramaturgie de la gravité à inventer.
Pourquoi avoir choisi le Boléro de Ravel ?
Il s’est tout simplement imposé. En travaillant sur le thème de la gravité, je suis arrivé à la question des trous noirs. Le cercle s’est alors imposé, avec son centre attirant et repoussant les danseurs. Ça fonctionnait merveilleusement bien.
Propos recueillis par Solène Souriau • septembre 2025
Le saviez-vous ?
Le latin gravitas signifie aussi bien le poids, la pesanteur, que l’importance, la solennité. Un double sens que le mot a gardé en français, désignant à la fois le caractère de ce qui est sérieux et ce phénomène d’attraction terrestre qui cloue les humains et tout objet au sol.