Une œuvre intemporelle et universelle
Le vendredi 5 septembre 2025

Entretien avec Jean-François Sivadier, metteur en scène de La Traviata.
Votre mise en scène établit un parallèle entre l’histoire de la courtisane et celle de la chanteuse. Pourquoi avoir choisi cet angle ?
Il me paraît important de partir des chanteurs eux-mêmes plutôt que de l’idée abstraite d’un personnage. La chanteuse qui incarne Violetta affronte un rôle exigeant et épuisant, dans lequel se reflète le destin de Violetta Valéry, rongée par la phtisie. C’est sans doute ce qui rend l’œuvre à ce point intemporelle et universelle : ce combat entre le corps et l’esprit — et, plus précisément pour Violetta, entre la résignation à la mort et l’aspiration à vivre. Cette tension est partagée par tout le monde. Violetta, c’est aussi l’histoire d’un corps qui, au départ, se donne à tous. Il y a là un autre point commun entre la courtisane et la cantatrice, qui offre sa voix à la foule.
Dans votre mise en scène, la frontière entre la scène et la salle est assez floue. Pourquoi ?
J’ai un mal fou à imaginer un quatrième mur sur une scène d’opéra. Tout le monde voit bien qu’il y a un orchestre entre le plateau et la salle, que le chef d’orchestre est un acteur central de la représentation et qu’il agit directement sur elle. Souvent, la présence du chef rend artificiel ce quatrième mur et je suis toujours un peu frustré quand la fosse est trop profonde et qu’on ne le voit pas du tout. À l’opéra, il n’y a pas de « personnages » : il n’y a que de la musique. Ou, plus exactement, le personnage est une projection du chanteur et du spectateur, qui va peu à peu prendre corps.
Votre mise en scène de La Traviata a été créée pour le Festival d’Aix-en-Provence en 2011. Elle est reprise aujourd’hui, presque quinze ans plus tard. Qu’est-ce que cela représente pour vous de la faire revivre avec une nouvelle génération d’interprètes ? En quoi cela renouvelle-t-il votre regard sur l’œuvre ?
Mon regard sur l’œuvre reste le même, mais le spectacle, lui, a mûri. À chaque reprise, certaines choses évoluent : des enchaînements techniques, des mouvements. Et surtout, il change en fonction des chanteurs. Je n’ai jamais dit à un interprète : « Voilà, le personnage est comme ça, il faut que tu entres dans sa peau. ». Au contraire, plus le chanteur reste lui-même — avec sa singularité, sa sensibilité, son intelligence, son humour — plus le public a l’impression de voir un personnage. Il y a autant de Violetta qu’il y a de chanteuses pour se confronter à cette partition, et c’est un immense plaisir pour moi.
Déjà en 1996, vous montiez Italienne avec orchestre, dans lequel il est question d’une troupe qui répète La Traviata. Aimez-vous toujours cette musique ?
Quand j’ai monté Italienne avec orchestre, nous l’avons joué à Nanterre. Natalie Dessay — que je ne connaissais pas à l’époque — est venue voir le spectacle et, en sortant, elle m’a dit : « Un jour, il faudrait que vous montiez La Traviata. » Je ne savais pas encore que je le mettrais en scène avec elle dix ans plus tard ! J’aime toujours autant la musique de Verdi, sans doute même davantage, parce que je la connais désormais de l’intérieur. On peut avoir de l’admiration pour une partition avant de la monter, mais une fois qu’on l’a traversée, qu’on l’a vécue charnellement, organiquement, on ne peut que l’aimer encore plus.
Propos recueillis par Solène Souriau • septembre 2025
Le saviez-vous ?
Dès l’ouverture de l’opéra, l’orchestre dévoile une suite de thèmes qui reviendront régulièrement au cours de l’œuvre : le thème en si mineur exposé par les violons traduit la fragilité et le destin tragique de Violetta. Il sera repris à la fin du premier acte. Le thème de l’amour entre Alfredo et Violetta, également entendu pour la première fois lors de l’ouverture, refait surface au moment où Violetta lit en parlante sa lettre d’adieu à Alfredo, à l’Acte II de l’opéra.