Un état d’universalité
Le vendredi 22 novembre 2024

Entretien avec Sidi Larbi Cherkaoui
Pourquoi avez-vous choisi de centrer votre travail autour du mouvement artistique Ukiyo-e ?
La crise sanitaire que nous avons vécue en 2019 a engendré une remise en question du vivre-ensemble de manière inédite et souvent brutale. Aujourd’hui, la crise environnementale est plus alarmante que jamais. Face à ces situations, je me suis interrogé : comment survivre, individuellement et collectivement, dans un monde où les crises globales s’intensifient ? Ukiyo-e a été ma première source d’inspiration pour explorer ces questions. Il s’agit d’un terme japonais signifiant « images du monde flottant ». Il a donné son nom à un mouvement artistique de l’époque Edo (1603-1868), centré sur la capture de l’instant présent. Aujourd’hui, d’une manière différente, j’ai le sentiment que nous sommes ramenés à notre éphémérité. Cette idée de « monde flottant » est pour moi une porte d’entrée, une invitation à méditer sur notre capacité de résilience.
Comment les différents univers sonores, picturaux, scénographiques et chorégraphiques dialoguent-ils entre eux ?
Dans ce spectacle, j’ai souhaité croiser les arts. Au cœur de la chorégraphie, le poème de Kae Tempest Hold your Own (traduit par « Tiens bon, prends soin de ») introduit une rupture temporelle marquant un « avant » et un « après ». En collaboration avec le scénographe américain Alexander Dodge, nous avons imaginé une scénographie inspirée de l’escalier impossible de M.C. Escher, cette structure infinie de montée et de descente. La performance est accompagnée des compositions contemporaines de Szymon Brzóska, enrichies de rythmes percussifs et électroniques signés Alexandre Dai Castaing. Ces sonorités sont ponctuées par les vibrations de la voix du compositeur et chanteur japonais Shogo Yoshii. Ces univers, réunis dans Ukiyo-e, résonnent avec ma recherche de réparation et de transcendance. J’ai également choisi de travailler avec le jeune créateur de mode japonais Yuima Nakazato, qui a conçu les costumes. Dans Ukiyo-e, les images entrent en résonance avec le monde contemporain, tissant des correspondances entre tradition et modernité.
Votre pièce semble témoigner d’un profond pessimisme mais trouve aussi une sorte de salut dans la méditation. Y a-t-il de l’espoir dans votre ballet ?
La tristesse, portée notamment par la musique, est omniprésente, mais les corps continuent à chercher le contact, à se développer et à procréer. Mes œuvres ont souvent une dimension rituelle, mais cette pièce va plus loin et devient véritablement cérémonielle. La scène finale est charnelle et physique. Les danseurs se dénudent de leurs costumes pour atteindre un état d’universalité.
Pourquoi avoir fait le choix de la musique live et de la création musicale ?
Le musicien en « live » est un véritable partenaire dans la narration. La musique ne se contente pas d’accompagner la danse : elle influence profondément le mouvement, créant une relation symbiotique. La musique jouée en direct permet un dialogue constant entre les danseurs et les musiciens, insufflant une nouvelle énergie à la chorégraphie.
Propos recueillis par Solène Souriau • novembre 2024